Retour

TEMOIGNAGE DE SPORTIF DE HAUT NIVEAU
FRANK WUNDERLICH

               Ce n'était pas mon heure !

Nous sommes le 15 avril 1989. La journée s'annonce belle et je me réjouis de faire quelques belles longueurs d'escalade au Salève, à côté de Genève. Je suis accompagné d'un ami avec qui je grimpe depuis plusieurs années. J'ai dans mon sac à dos une "doudoune", des gants et un bonnet pour les attentes aux relais.

Nous allons au pied de la falaise, dans le secteur des Buttikofer. Nous devons encore monter sur une sente pour accèder à une petite plateforme, à une quinzaine de mètres du sol, pour débuter notre voie. Nous choisissons Babylone, une voie en trois longueurs qui se termine sur une vire. Nous pensons redescendre par celle-ci, à pied pour éviter de tirer des rappels. la première longueur est la plus technique et sa cotation, 6b+, un peu élevée pour moi. Les suivantes se terminent sur un calcaire compact, avec une cotation plus aisée. Je pars en tête et les premiers pas se passent plutôt bien. Je suis heureux de progresser sur ce mur vertical. Juste avant le relais, une prise casse et je me prends un plomb. Je refais une tentative mais sans cette prise et déconcentré, je n'y parviens pas. Après deux essais, mon amis me propose de terminer la longueur. J'accepte et lui demande de me redescendre. Je suis tranquillement assis dans mon baudrier afin de le rejoindre sur la mini-plateforme. Soudain, je me sens tomber en arrière, le vide m'aspire, c'est la chute !

"Tu ne vas pas mourir !"

Je passe à quelques mètres de la plateforme et semble apercevoir, durant quelques dixièmes de secondes, l'effroi de mon binome, impuissant. Je comprend immédiatement ce qui se passe : l'autre extrémité de la corde est sortie du système d'assurage. Nous n'avions pas encore fait de noeud au bout de la corde et, comme il me regardait, il n'a pas vu que nous arrivions en fin de corde. Je suis très lucide durant la chute ; je trouve ce moment très long. Passant à côté d'un sapin, je me dis qu'il aurait pu stopper ma dégringolade. Je me demande si je vais mourir en arrivant en bas. Je rebondis une fois sur la sente empruntée en montant, ce qui ralentit un peu ma chute mais ne me stoppe pas. Juste avant de percuter le sol, une voix qui me semble clairement audible me rassure :"Tu ne vas pas mourir !"

Je suis croyant depuis plusieurs années, cette voix me semble familière. Je me rappelle que dans des moments difficiles traversés jadis, j'avais déjà été rassuré par une présence divine. Mais cette fois, la vois est nette et remplit mon être tout entier. Je suis confiant, alors que dans quelques mètres, le sol m'attend.

Je n'ai rien !

Le choc est violent. Je sens mes poumons s'écraser et je n'arrive plus à respirer. Mes membres semblent peser une tonne. Je n'arrive plus à bouger. Je suis allongé sur le dos. Mon compagnon est pétrifié sur sa plateforme, il me croit mort. Je ne peux pas lui montrer que je suis vivant, étant incapable de bouger. D'autres grimpeurs m'ont vu tomber, ils courent vers moi et alertent les secours. L'un d'eux est médecin, il me demande si je sens mes jambes. Avec la violence du choc, je ne sens plus rien. Je viens à peine de retrouver ma respiration, mais suis étonnament serein. Je me surprends à rassurer les gens qui sont là. L'hélicoptère arrive quinze mintes plus tard. Je suis emmené à l'hôpital cantonal de Genève. A 18h11, je suis pris en charge par l'équipe des urgences. Par chance le scanner est libre et on me fait immédiatement des examens complets. Les médecins n'en reviennent pas. Je n'ai rien ! Pas un os cassé, pas un organe intern touché. Le sac à dos et son contenu m'ont sauvé la vie.

Je repense à la voix qui m'a assuré que je ne succomberais pas. Je suis très reconnaissant d'être en vie, mais me sens coupable de ne rien avoir : d'autres se tuent en tombant de bien moins haut, et moi, je suis un miraculé. Pourquoi ?

21,8 mètres de chute

Je reste une nuit en unité d'observation. J'en sors après un diagnostic complet. Bien que je n'aie rien de cassé, j'ai très mal au dos et redoute le moment où je devrai me lever. Le doute m'envahit. J'ai peur que les douleurs m'empêchent de marcher. Plus tard, l'infirmière m'aide à me lever. Malgré la douleur, je fais quelques pas. A 11h40, je quitte l'hôpital.

Quelques semaines plus tard, je retrouve mes capacités. Je me rends à l'endroit de l'accident : je veu mesurer la hauteur de la chute. Au moyen d'une corde, je calcule 21,8 mètres.

Aujourd'hui, j'ai parfois des douleurs dorsales, mais elles ne sont pas permanentes. Avec le soutien d'un médecin du sport, d'un physiothérapeute et d'exercices de musculation, je continue de vivre normalement et pratique toujours l'escalade.

Je garde de cet accident la ceritude de la bonté et de la présence de Dieu dans ma vie. Vingt ans plus tard, il reste LE compagnon sur lequel je m'appuie.

Mon binôme a lui aussi continué l'escalade, et nous nous retrouvons souvent pour enchainer des longueurs, à une différence près : nosu avons le réflexe de vérifier l'extrémité de la corde !

tiré de : La bible de la montagne