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TEMOIGNAGE DE SPORTIF DE HAUT NIVEAU
PATRICK GABARROU

               Entre ciel et terre

        Divine Providence, Deo Gratias ... quelques noms de voies que Patrick Gabarrou, icône de l'alpinisme mondial, a ouvertes sur les sommets du monde entier. Catholique, ce savoyard né en Normandie est devenu l'un des maîtres des cimes. La tête dans les nuages, il a gardé les pieds sur terre et conservé un enthousiasme rafraîchissant à l'égard de son sport et de la vie en général ...

         Il est comme ça, Patrick : enthousiaste et simple. Il reçoit chaleureusement dans son chalet savoyard de Saint Sigismond, un village accroché à flanc de colline qui domine la ville de Cluses. De sa terrasse, les cinq cents derniers mètres du mont Blanc se dévoilent. Sa femme, Franca, une Italienne, a préparé un plat de pâtes à la mozzarella qu'on déguste dans la cuisine sous des croix naïves en terre cuite et des icônes accrochées aux murs. De retour d'une escapade en Grèce avec Franca, Patrick peine à s'asseoir autour de la table en bois massif : pendant son absence, les messages sur le répondeur et les courriels se sont accumulés. Et puis, il y a cette course de demain avec son vieux pote Robert, la météo à consulter ...

         Gabarrou est à l'alpinisme ce que Zidane est au football : un mythe, une référence. En solo ou a plusieurs, il a été partie prenante dans l'ouverture de près de trois cents voies dans les Alpes, les Andes, l'Himalaya. Fier de son parcours mais sans jamais avoir cherché à accomplir une oeuvre, le Gab, 55 ans, a gardé l'air canaille du copain assis au fond de la classe, cheveux dépeignés, regard tendre et gourmand à la fois. Il voulait être prof de philo, il est devenu alpiniste et guide de haute montagne, bien que né en Normandie. Dans les rues de Paris où il grandit, Patrick, gamin, sentait déjà que la platitude, ce n'était pas son truc. Comme un bouquetin, j'étais toujours avide d'espace !

                La montagne, un révélateur de ce que nous portons en nous

         A 9 ans, il quitte la capitale pour l'internat des religieux de Saint Vincent de Paul installé à Tournan en Brie, en Seine et Marne. Se pose un temps la question d'une vocation religieuse. J'y ai côtoyé d'authentiques saints ! Attend avec impatience les jeudis après-midi occupés par d'interminables parties de football. J'étais incroyablement heureux, mais il me manquait le mystère. 

         Il l'effleure en lisant et relisant l'unique ouvrage de la bibliothèque ayant trait à la montagne, qui lui semble un univers inaccessible. Les récits de Gaston Rebuffat suscitent chez le jeune garçon des rêves d'alpages et de meubles en bois. Il répondra à l'appel de la montagne plusieurs années après, plaquant ses études de philo qui n'aboutissent pas. La révélation. A 18 ans, il gravit son premier 4000.

         Pourquoi je suis si heureux en montagne ? On ressent un bien-être profond quand on est en harmonie avec les lieux qui nous entourent. J'aime être libre dans cet espace et participer ainsi au chant du monde. Il n'as pas pour autant fait de la montagne, source intarissable d'émerveillement et de joies, un absolu. C'est un immense vecteur de rêve. Mais la montagne ne t'apporte rien que tu n'aies déjà en toi. Elle sert seulement de révélateur, de miroir. Il ne faut pas confondre l'absolu et ses visages. Patrick a le sens de la paroi, il a également celui de la formule.

                J'aspire à être un passeur d'amour pour les autres

         Catholique, fidèle paroissien de l'église de son village, l'homme à cette intelligence de la foi des gens de la montagne. Une foi simple qu'il a nourrie et fait fructifier au fil des ans quand d'autres la reniaient. Chaque jour, je demande la grâce de la fidélité, d'être fort dans la foi, explique-t-il en regrettant la déchristianisation profonde de son coin des Alpes.

         La beauté d'un paysage, l'amitié des hommes, l'amour d'une femme, le mystère de ce souffle de vie qui l'habite, de son coeur qui bat, tout cela a un sens pour moi. Ce sont des rayons de soleil qui percent à travers les nuages de la vie comme autant de preuves de l'existence de Dieu ... Edifié par l'itinéraire des saints qu'il a découverts, enfant, en bandes dessinées, Patrick en a privilégié trois dans la chapelle de son coeur : Thérèse de Lisieux, dont il parle comme de sa grande soeur, François d'Assise, un exemple de simplicité évangélique, et Padre Pio.

         Dès le saut du lit, Patrick confie remettre sa vie à Dieu. Il porte aussi une médaille miraculeuse autour du cou. Pas tant pour la protection que la Sainte Vierge accorde à ceux qui la portent, mais dans un acte quotidiennement renouvelé d'abandon. Je lui dis : Gardez moi, je veux vous appartenir. Donnez moi la force d'être un disciple. Quand tu as reçu une lumière, ajoute-t-il, tu dois en témoigner. Cet espace de la montagne, je dois le partager, je ne peux pas le garder pour moi tout seul.

         De la théorie à la pratique, il n'y a qu'un pas. Consultant pour la marque Lafuma depuis 30 ans, membre fondateur de Mountain Wilderness, qui lutte au niveau mondial pour la protection de la montagne, il se transforme à l'occasion en pilote de ski-tandem pour des personnes handicapées, ou en chauffeur de poids lourd pour les convois organisés par les scouts de Cluses, proches d'ici. Avec toutes mes limites, j'aspire à être un passeur d'amour pour les autres, explique-t-il en se référant à la petite Thérèse, avant d'ajouter : Elle était la sainte de l'effacement absolu qui brûlait d'amour pour le monde entier ! Patrick aime d'ailleurs se mettre à l'école de la sainte de Lisieux au carmel du Reposoir, dans la vallée voisine de la sienne.

                Un alpiniste qui ne joue pas les trompe la mort

         En montagne, l'homme ne cherche pas à jouer les trompe la mort. Je n'ai pas la montagne morbide. Ce n'est pour moi qui du positif ! Après une course de deux ou trois jours, tu reviens avec pleins d'histoires, plein d'énergie à partager. Il n'en reste pas moins conscient des risques. Collées dans un coin de son bureau, les photos de ses frères de cordée disparus se chargent de lui rappeler les dangers de la montagne. Lui-même a fréquenté plus qu'à son tour les hôpitaux. Le jour de ses 20 ans, après une chute dans le massif de l'Oisans, les médecins lui avaient annoncé qu'il ne remarcherait plus ... Mais il continue de revendiquer la prise de risque comme pouvant être fondatrice dans la construction d'un homme.

         Aujourd'hui, il grimpe avec des gamins de 30 ans de moins. Avec l'âge, tu prends conscience de ce privilège d'avoir la santé, de cette chance que tu as de pouvoir te servir de tes deux bras et de tes deux jambes. Pour autant, l'arrêt de toute activité physique ne lui fait pas peur. Déjà, il est capable de passer trois jours sans mettre le nez en dehors de son bureau et d'oublier la montagne pour se consacrer à ses nombreux autres projets. Et d'acitf, il se voit sans inquiétude passer en mode contemplatif. C'est l'ordre naturel de la vie ...

Benjamin Coste, Famille Chrétienne n°1482, Juin 2006