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DISCOURS DE PIE XII
AUX SPORTIFS ITALIENS

                       Solennité de Pentecôte, 25 Mai 1945

Vous nous apportez, très chers jeunes, parmi tant de motifs de tristesse et d’angoisse, qui nous affligent profondément, une grande joie, une grande espérance, cette joie, cette espérance, dont était rempli le cœur de Jean, l’Apôtre bien-aimé de Jésus, l’ardent vieillard à l’âme inaltérablement jeune, quand il s’exclamait : « Je vous écris, jeunes gens, parce que vous êtes forts, que la parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu le Mauvais » (1Jn 2,14). De cette joie qui est la Nôtre, de ce magnifique spectacle d’une vaillante, franche, généreuse et audacieuse jeunesse, qui dans la « Pâques du Sport » a renouvelé avec l’accomplissement des devoirs religieux ses énergies spirituelles et maintenant, réunie ici, démontre avec un  chaleureux (et en partie aussi, nous voudrions dire, bruyant) enthousiasme sa fidélité au Christ et à l’Eglise, nous sommes redevables à la méritante Présidence du Centre Sportif Italien, qui en union avec le Comité Olympique National Italien et avec les Fédérations Nationales, est devenue l’active promotrice de cette opportune manifestation,  sur laquelle nous invoquons du Ciel les plus abondantes faveurs et secours.

Autant est loin de la vérité celui qui blâme l’Eglise de ne pas prendre soin des corps et de la culture physique, que celui qui voudrait restreindre sa compétence et son action aux choses « purement religieuses », « exclusivement spirituelles ». Comme si le corps, créature de Dieu à l’égal de l’âme, à laquelle il est uni, ne devait pas avoir sa part à l’hommage à rendre au Créateur ! « Soit que vous mangiez –écrivait l’Apôtre des Gentils aux Corinthiens – soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu » (1Co 10,31) Saint Paul parle ici de l’activité physique ; le soin du corps, le « sport », entre donc bien dans les paroles « quoi que vous fassiez ». Bien plus même il en parle souvent explicitement : il parle des courses, des combats non pas avec des expressions critiques ou de réprobation, mais en connaisseur qui en élève et en ennoblit chrétiennement le concept.

Car, enfin, qu’est-ce que le sport, sinon une des formes d’éducation du corps ?  Maintenant cette éducation est en rapport étroit avec la morale. Comment donc l’Eglise pourrait-elle s’en désintéresser ?

Et en réalité elle a toujours eu envers le corps une sollicitude et une attention, que le matérialisme, dans son culture idolâtre, n’a jamais manifesté. Et c’est bien naturel, car celui-ci ne voit et ne connait du corps que la chair matérielle, dont la vigueur et la beauté naissent et fleurissent pour ensuite rapidement se faner et mourir, comme l’herbe des champs qui finit dans les cendres et la boue. Très différente est la conception chrétienne. Le corps humain est, en lui-même, le chef d’œuvre de Dieu dans l’ordre de la création visible. Le Seigneur l’avait destiné à fleurir là-haut, pour éclore immortel dans la gloire du ciel. Il l’a unit à l’esprit dans l’unité de la nature humaine, pour faire gouter à l’âme l’enchantement des œuvres de Dieu, pour l’aider à regarder dans ce miroir leur commun Créateur, à le connaître, à l’adorer, à l’aimer ! Ce n’est pas Dieu qui a rendu le corps humain mortel, mais le péché ; mais si à cause du péché le corps, tiré de la poussière, doit retourner un jour en poussière, de celle-ci cependant le Seigneur le tirera de nouveau pour le ramener à la vie. Ainsi réduits en poussière, l’Eglise respecte et honore les corps, morts pour ensuite ressusciter. Mais l’Apôtre Paul nous conduit à une vision encore plus haute : «  Ne savez-vous pas, -dit-il – que votre corps est un temple du Saint Esprit, qui est en vous et que vous tenez de  Dieu ? Et que vous ne vous appartenez pas ? Vous avez été bel et bien achetés ! Glorifiez donc Dieu dans votre corps » (1 Co 6,19-20).

Glorifiez Dieu dans votre corps, temple du Saint Esprit ! Ne reconnaissez-vous pas là, très chers fils, les mêmes paroles qui résonnent si souvent dans les psaumes ! Louez Dieu et glorifiez-Le dans son temple saint ! Mais alors il faut dire encore du corps humain : Domum tuam decet sanctitas, Domine (Ps 92,5). A ton temple s’ajoute la sainteté, ô Seigneur ! Il faut aimer et cultiver la dignité, l’harmonie, la beauté chaste de ce temple : Domine, diligo habitaculum domus tuae et locum tabernaculi gloriae tuae (Ps 25,8).

Maintenant quel est, en premier lieu la fonction et la finalité du « sport », entendues sainement et chrétiennement, sinon justement de cultiver la dignité et l’harmonie du corps humain, de développer la santé, la vigueur, l’agilité et la grâce ?

Et  ne reproches pas non plus à saint Paul son expression énergique : Castigo corpus meum ei servitutem redigo : « Je  meurtris mon corps au contraire et le traîne en esclavage » (1 Co 9,27), lui qui dans le même passage s’appuie sur l’exemple des fervents amateurs du « sport », qui, exercé modérément et consciencieusement, fortifie le corps, le rend sain, frais et vigoureux, mais pour accomplir cette œuvre éducative, le soumet à une discipline rigoureuse et souvent dure, qui le domine et le réduit vraiment en servitude ; en l’entraînant à la fatigue, à la résistance, à la douleur, à l’habitude de continence et de sévère tempérance, toutes conditions indispensables à celui qui veut remporter la victoire.

Le « sport » est un antidote efficace contre la mollesse et la vie facile, il réveille le sens de l’ordre et éduque à l’épreuve, à la maîtrise de soi, au  mépris du danger sans fanfaronnade ni pusillanimité. Vous voyez bien comment cela dépasse déjà la seule robustesse physique, pour mener à la force et la grandeur morales. C’est ce que Cicéron dans son incomparable limpidité de style exprimait en disant : Exercendum…corpus et ita afficiendum est, ut oboedire consilio rationique possit in exsequendis negotiis et in labore tollerando (De Off , I,XXIII, 1). Du pays natal du « sport » provint le proverbial « fair-play », cette émulation chevaleresque et courtoise qui élève les esprits au-dessus de la mesquinerie des tricheries, des manigances d’une vanité susceptible et vindicative, et les préserve des excès d’un nationalisme fermé et intransigeant.

Le « sport » est une école de loyauté, de courage, d’endurance, de décision, de fraternité universelle, toutes vertus naturelles, mais qui fournissent aux vertus surnaturelles une base solide, et préparent à soutenir sans faiblesse le poids des plus lourdes responsabilités. Comment pourrions-nous Nous-même en cette occasion ne pas rappeler l’exemple de Notre grand prédécesseur Pie XI, qui fut aussi une Maître du « sport » alpin ? Relisez le récit, si impressionnant dans sa tranquille simplicité, de cette nuit toute entière passée, après une difficile ascension de vingt heures, sur une étroite arête de rocher du Mont Rose, à 4600 mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer, par un froid glacial, debout, sans pouvoir faire un pas dans aucun sens, sans pouvoir se laisser vaincre un seul instant par le sommeil, mais au centre ce  très grandiose théâtre alpin parmi les plus grandioses, devant cette très imposante révélation de la toute puissance et de la majesté de Dieu (CF A.Ratti, Scritti alpinistici, Milan 1923, p. 42-43). Quelle résistance physique, quelle ténacité morale suppose un tel comportement ! Et quelle préparation, ces aventures audacieuses durent être pour lui donner son courage intrépide dans l’accomplissement des formidables devoirs qui l’attendaient, pour la solution des problèmes apparemment inextricables, devant lesquels il allait se trouvait un jour comme Chef de l’Eglise !

Fatiguer sainement le corps pour reposer l’esprit et le disposer à de nouveaux travaux, affiner les sens pour acquérir une plus grande intensité de discernement des facultés intellectuelles, exercer ses muscles et s’habituer à l’effort pour tremper le caractère et se former une volonté forte et souple comme l’acier : telle était l’idée que le prêtre alpiniste s’était fait du « sport ».

Comme cette idée est donc loin du matérialisme grossier, pour qui le corps est tout !  Mais comme elle est aussi contraire à cette folie d’orgueil, qui ne se retient pas de ruiner par un surmenage insensé les forces et la santé du « sport », pour conquérir la palme dans une compétition de boxe ou de vitesse, et l’expose même parfois témérairement à la mort ! Le « sport » digne de ce nom, rend l’homme courageux en face du péril du présent, mais n’autorise pas à s’exposer sans une raison proportionnée à un  risque grave : ce qui serait moralement illicite. A ce propos Pie XI écrivait : « Par ces mots – vrai danger – je veux dire…, il n’est pas possible qu’on puisse affronter cet état de chose soit en lui-même soit par  les dispositions du sujet qui s’y engage sans qu’un malheur n’arrive » (Ibid. p.59). Pour cela il observait au sujet de  son ascension sur le Mont Rose : « L’idée de tenter, comme on le dit d’habitude, un coup dangereux, ne nous passait même pas par la tête. L’alpinisme véritable n’est pas en effet une affaire de casse-cous, mais au contraire tout est seulement question de prudence et d’un peu de courage, de force et de constance, d’amour de la nature et de ses beautés plus secrètes » (Ibid. p.22).

Ainsi compris, le « sport » n’est pas une fin, mais un moyen ; il doit être comme cela et rester ordonné au but, qui consiste à former et éduquer de manière parfaite et équilibrée tout l’homme, pour qui  le « sport » est une aide dans l’accomplissement rapide et joyeux du devoir, tant dans la vie de travail que dans celui de la famille. Par un renversement lamentable de l’ordre naturel quelques jeunes consacrent avec passion tout leur intérêt et toute leurs activités aux réunions et aux manifestations sportives, aux exercices d’entrainement et aux compétitions, mettent tout leur idéal dans la conquête d’un « championnat », mais ne prêtent qu’une attention distraite et ennuyée aux nécessités fastidieuses de l’étude ou de la profession. Le foyer domestique n’est plus pour eux qu’un hôtel où ils font halte en passant comme des étrangers.

Vous êtes, vous, grâce au ciel, bien différents, très chers fils, quand, après une belle compétition, vous vous remettez, rapidement et avec une ferveur renouvelée, au travail, lorsque rentrés à la maison, vous réjouissez la famille avec vos récits exubérants et enthousiastes.

Au service de la vie saine, robuste, ardente, au service d’une activité plus féconde dans  l’accomplissement de vos  devoirs d’état, le « sport » peut et doit être au service de Dieu. A cette fin de fait celui-ci incline les âmes à diriger les forces physiques et les vertus morales, qu’il développe ; mais tandis que le païen se soumet au régime sportif sévère pour obtenir seulement une couronne éphémère, le chrétien s’y soumet pour un but plus haut, pour un prix immortel (Cf. 1Co 9,25).

Avez-vous remarqué le nombre considérable de soldats parmi les martyrs que vénère l’Eglise ? Aguerris dans leur corps et leur caractère par les exercices inhérents au métier des armes, ceux-ci étaient pour le moins semblables à leurs frères d’armes pour le service de la patrie, pour la force, pour le courage ; mais ils se montraient incomparablement supérieurs à ceux-ci, prêts comme ils étaient au combat, aux sacrifices pour le service loyal du Christ et de l’Eglise. Animés de la même foi et du même esprit, soyez, vous aussi, disposés à tout subordonner à vos devoirs de chrétiens.

A quoi serviraient en effet le courage physique et l’énergie du caractère, si le chrétien en usait seulement à des fins terrestres, pour gagner une « coupe » ou pour se donner des airs de surhomme ? Si on ne sait pas, quand cela arrive, réduire d’une demi-heure le temps de sommeil ou retarder un rendez-vous au stade, plutôt que négliger d’assister à la Messe dominicale ; si on ne réussit pas à vaincre le respect humain pour pratiquer la religion et la défendre ; si on ne se sert pas de sa prestance et de son autorité pour arrêter ou réprimer du regard, par la parole ou le geste, un juron, un propos obscène, une malhonnêteté, pour protéger les plus jeunes et les plus faibles contre les provocations et les assiduités douteuses ; si on ne s’habitue pas à terminer ses heureux succès sportifs en louant Dieu, Créateur et Seigneur de la nature et de toutes ses forces ? Soyez toujours conscients que l’honneur le plus haut et le destin le plus saint du corps est d’être la demeure d’une âme, qui resplendit de pureté dans la société et soit sanctifiée par la grâce divine.

Ainsi, très chers fils, est dessiné et tracé le but du « sport ». Accomplissez résolument cette œuvre, conscients que dans le champ de la culture physique la conception chrétienne n’a rien à recevoir d’autrui, mais plutôt à donner. Celui qui dans les diverses sortes de manifestations sportives s’est montré comme vraiment bon, vous pouvez l’accepter et l’adopter autant que les autres.
Mais pour ce qui regarde la place que le « sport » doit avoir dans la vie de l’homme, pour chacun, pour la famille, pour tout le monde, l’idée catholique est simplement salvatrice et éclairante.

L’expérience des dernières décennies est en ce sens hautement instructive ;  celle-ci a démontré comment seule l’évaluation chrétienne du « sport » est capable de s’opposer efficacement aux fausses idées et aux tendances pernicieuses et d’en éliminer l’influence néfaste ; en contrepartie celle-ci enrichit la culture physique de tout ce qui concourt à élever la valeur spirituelle de l’homme et, ce qui compte le plus, l’oriente vers une noble exaltation de la dignité, de la vigueur et de l’efficacité d’une vie pleinement et fortement chrétienne. C’est en cela que le sportif exerce son apostolat, quand il reste fidèle aux principes de sa foi.

Il est assez remarquable de voir combien l’Apôtre Paul utilise souvent l’image du « sport » pour représenter sa mission apostolique et la vie du combat chrétien sur terre, surtout dans la première Lettre aux Corinthiens. « Ne savez-vous pas – écrit-il –  que, dans les courses du stade, tous courent, mais un seul obtient le prix ? Courez donc de manière à le remporter ».   Et là il ajoute les paroles auxquelles nous avions déjà fait allusion : «  Tout athlète se prive de tout ; mais pour eux, c’est pour obtenir une couronne périssable, nous une impérissable. Et c’est bien ainsi que je coure, moi, non à l’aventure ; c’est ainsi que je fais du pugilat, sans frapper dans le vide. Je meurtris mon corps au contraire, et le traîne en esclavage, de peur qu’après avoir été celui qui proclame aux autres, je ne sois moi-même disqualifié » (1Co 9,24-27).

Ces quelques mots jettent sur le « sport » des rayons de lumière mystique. Mais ce qui importe à l’Apôtre, c’est cette réalité supérieure, dont le « sport » est la représentation symbolique : le travail incessant pour Christ, la comparaison et l’assujettissement du corps à l’âme immortelle, la vie éternelle comme prix de ce combat. Pour le sport chrétien aussi, pour vous aussi, très chers fils, le « sport » ne doit pas être l’idéal suprême, le but ultime, mais doit servir à tendre vers cet idéal, à atteindre cette fin. Si un exercice sportif est pour vous une récréation et un stimulant pour accomplir avec fraîcheur et ardeur vos devoirs dans le travail ou l’étude, on peut bien dire que celui-ci montre sa vraie signification et sa réelle valeur, et obtient heureusement son propre but. Et si, outre cela, le « sport » est pour vous non seulement une image, mais en quelque sorte aussi la réalisation de votre devoir le plus haut, c’est-à-dire, si vous faites tout votre possible au moyen de l’activité sportive pour rendre le corps plus docile et obéissant à l’esprit et à vos obligations morales, si en outre par votre exemple vous contribuez à donner à l’activité sportive une forme qui correspond mieux à la dignité humaine et aux préceptes divins, alors votre culture physique acquiert une valeur surnaturelle, alors vous réalisez dans le même temps et en une seule action le symbole et la chose symbolisée dont parle Saint Paul, alors vous vous préparez à pouvoir une jour proclamer comme le grand combattant apostolique : « J’ai combattu  jusqu’au bout le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Et maintenant, voici qu’est préparée pour moi la couronne de justice, qu’en retour le Seigneur me donnera en ce jour-là, lui, le juste Juge, et non seulement à moi mais à tous ceux qui auront attendu avec amour son Apparition » (2Tim 4, 7-8).

Afin que le Tout-Puissant, créateur de vos corps et de vos âmes, le Saint Esprit, dont votre corps est le temple, Marie, la Vierge forte et la Mère sans tâche, vous gardent, vous protègent, vous accordent de « jouir toujours de la santé de l’esprit et du corps »,  Nous, vous plaçant sous leur protection, nous vous donnons de tout cœur à vous, à vos compagnons, à vos familles, Notre paternelle Bénédiction Apostolique.

(Cf. Pie XII 23-V-1945 dans Discours er Radiomessages de Pie XII, Vol. VII p ; 54-63)


                                                               traduction : père Jean-Jacques Veychard