Retour

3° SEMINAIRE INTERNATIONAL DU VATICAN



Sport et vie : éducation intégrale de la personne

Michael McNamee *

Introduction : Le sport, la vertu et le monde moderne

Dans l'Europe médiévale, l'Église catholique romaine était l'institution sociale et politique dominante ainsi que le siège de l'apprentissage. Cependant, la grande majorité de la population était illettrée et il est donc impensable qu'elle puisse suivre ou même comprendre sa principale cérémonie, la Sainte Messe, qui se déroule en latin. Une façon assez répandue de réduire le mystère de la morale religieuse était la mise en scène de pièces de moralité. Les détails précis de cette pratique culturelle étant inconnus, je propose ici la plus simple esquisse pour faire le point que je souhaite faire au début de cette conférence sur l'éthique du sport. À cette époque, les cirques itinérants n'apportaient pas seulement un divertissement aux masses, mais incluaient généralement dans leur spectacle une pièce de moralité. Ici, le bien et le mal se jouaient sur une scène où l'enjeu était l'âme même du personnage principal : tout le monde. Bien que l'analogie soit grossière, je soutiens que le sport, entre autres choses, remplit maintenant ce rôle ou cette fonction à l'échelle mondiale. Dans un monde où le mythe des Lumières de la moralité partagée est attaqué de toutes parts par les anthropologues, les commentateurs culturels et les philosophes, le sport offre un moyen cognitivement simple de faire la lumière sur le bien et le mal dans les contextes quotidiens de l'arène, de la cour, du terrain et, bien sûr, des dernières pages de nos journaux et des écrans de nos télévisions.

Tout comme le point de vue moralisateur des pièces médiévales n'était pas dramatiquement dense, on n'a besoin ni de vocabulaires cognitifs ou moraux complexes pour comprendre la tricherie et le courage, ni le fair-play et la faute, dans les diverses instances du sport. Ainsi, le sport offre l'un des meilleurs véhicules d'éducation morale à la lumière du choc des cultures morales que le monde actuel suscite. Mais je ne peux qu'indiquer brièvement à quoi pourrait ressembler cette grande thèse dans ce court essai. 1

Sports et éthique de la vie

Je maintiens que dans et par le sport, nous pouvons développer, promouvoir et ramifier les vertus. On les a parfois qualifiés, à juste titre, de laboratoires moraux. 2 Je ne veux pas dire par là que le sport est une sorte de panacée universelle, comme le soutiennent parfois les amateurs de sport, mais simplement qu'il s'agit de sites sociaux riches en possibilités de développement éthique. Cela semble être une croyance noble mais nostalgique. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Les théories fondées sur la vertu sont communément qualifiées d'arétaïques, car leur exposition remonte souvent aux Grecs de l'Antiquité pour qui la vertu, ou l'excellence, se traduit par aréte. Sa première expression substantielle se trouve dans la philosophie socratique, mais c'est Aristote qui fonde ses écrits sur le fait de bien vivre (ou de s'épanouir, pour utiliser l'interprétation standard) en termes de sagesse pratique soutenue par un ensemble de traits de caractère bien disposés et relativement établis que l'on appelle généralement "vertus". Après lui, comme on le sait, saint Thomas d'Aquin a développé son récit spécifiquement théologique des vertus, dont la confluence forme largement notre compréhension des vertus chrétiennes.


Pourquoi, pourrait-on se demander, les entraîneurs sportifs devraient-ils remonter à l'antiquité pour essayer de comprendre comment ils devraient mieux entraîner ou enseigner, ou pour mieux muer l'action et le caractère des jeunes athlètes ? La réponse à cette question est en partie révélée par une considération de la nature de la vertu ainsi que par une considération de la nature des compétitions sportives. Permettez-moi de prendre le premier élément en considération, et de ne faire qu'une brève référence au second. Et même dans ce but restreint, je parlerai presque exclusivement de l'entraîneur et de l'athlète en relation, en ignorant largement les autres institutions sociales et politiques qui sont clairement impliquées dans le développement, l'organisation et la promotion du sport.

Le discours sur le sport est jonché de références à la réalisation de l'excellence. Il en va de même pour l'éthique de la vertu. Arete, en grec ancien, signifiait justement cela : l'excellence. Arete pouvait signifier l'excellence de n'importe quoi. Un exemple standard souvent utilisé pour expliquer cela est celui d'un couteau. Un couteau est excellent lorsqu'il remplit sa fonction de coupe. Un bon couteau doit être tranchant ; son tranchant doit être constant dans le temps ; il ne doit pas être trop flexible, sinon il risque de couper l'utilisateur ainsi que ses aliments ; il ne doit pas être si petit ou si grand qu'il ne puisse pas être tenu fermement dans la main de son utilisateur ; et ainsi de suite. En termes humains, une vertu est donc une manière d'être humainement excellent. Nous ne pensons pas que les gens naissent avec l'excellence, mais plutôt qu'ils apprennent à devenir un excellent être humain. Une vertu humaine est donc une qualité humaine acquise. Et le sport, comme je l'ai dit, offre un terrain propice à cette acquisition. Le spécialiste de la littérature d'Oxford, auteur et éducateur chrétien, C.S. Lewis, a donné un excellent aperçu de la nature de la vertu et il a utilisé le sport comme contexte pour illustrer son propos : "Ce que vous entendez par bon joueur, c'est l'homme dont l'œil, les muscles et les nerfs ont été tellement entraînés par d'innombrables bons coups qu'on peut maintenant leur faire confiance... Ils ont un certain ton ou une certaine qualité qui est là même quand il ne joue pas ... De la même manière, un homme qui persévère dans ses actions justes obtient en fin de compte une certaine qualité de caractère. Or, c'est cette qualité, plutôt que les actions particulières, que nous recherchons lorsque nous parlons de vertu. 3

Ce qu'il offre est un compte rendu de la vertu. Un verre de vin est fragile par sa disposition, il va donc se briser si je le laisse tomber ; sa nature est fragile. Les dispositions humaines sont plus complexes. Nous disons que la personne courageuse cherche à atteindre un but valable face au danger ou à la peur. Et dire qu'une personne est courageuse, c'est dire qu'elle l'est typiquement, qu'elle est par nature disposée à agir courageusement dans des circonstances normales. Ce n'est pas tout à fait exact. Il est préférable de dire qu'une personne courageuse est par nature disposée à agir courageusement. Maintenant, si nous devons dire que les vertus comme le courage sont des qualités humaines acquises, nous devons au moins dire un peu comment elles sont acquises. Voici quelques points que l'on peut supposer d'Aristote concernant des concepts tels que l'initiation, l'émulation et l'accoutumance.

Dans les premières étapes du développement d'un caractère éthiquement sain, la formation de l'habitude est essentielle. La pratique ne rend pas parfait, comme les parents et les grands-parents sont enclins à le dire. Au contraire, la pratique rend permanent, un point observé par Aristote bien avant que la remarque du psychologue ne devienne un lieu commun. Il écrit : "Il n'y a pas de petite différence, que nous prenions des habitudes d'un type ou d'un autre dès notre jeunesse, cela fait une très grande différence, ou plutôt toute la différence". 4

Richard Peters a magnifiquement formulé ce point lorsqu'il a fait remarquer que "le palais de la raison est accessible par la cour des habitudes". 5 Le point final de l'éducation morale laïque dans un cadre libéral est le développement d'une autonomie rationnelle qui implique une autonomie morale, c'est-à-dire le fait de raisonner pour trouver la bonne voie sans subir d'influences extérieures. Pourtant, il suffit à peine d'un éducateur pour faire remarquer que l'autonomie rationnelle n'est pas en possession des jeunes, et qu'elle prend plus qu'assez de temps pour s'épanouir à l'âge adulte. C'est donc l'acquisition de bonnes habitudes que nous recherchons de manière cruciale en général, et dans le sport en particulier. Le potentiel pédagogique du sport en tant que laboratoire moral repose de manière précaire sur l'habituation. Je dis cela parce que les habitudes qui sont encouragées par l'entraîneur sportif sont aussi bonnes et aussi mauvaises que l'entraîneur lui-même. Les enfants perçoivent rapidement la dissonance entre la parole et l'action. "Fais ce que je dis, pas ce que je fais" est un dicton moral médiocre - mais pas totalement inutile - souvent utilisé par les parents, les éducateurs et les entraîneurs. Comme l'a fait remarquer le duc de la Rochfoucaud, l'hypocrisie est l'hommage que le vice rend à la vertu. L'entraîneur aux mauvaises habitudes qui exhorte les jeunes athlètes est à préférer à celui qui exige de ses joueurs de tricher, de faire des fautes ou de gâcher le sport. Mais les enfants s'accrochent à d'autres habitudes de l'entraîneur : celui qu'ils louent ou réprimandent, celui qu'ils sélectionnent ou mettent sur le banc. En outre, ils mettent l'accent sur les qualités adverbiales : la manière dont l'entraîneur loue ou réprimande, le langage qu'il utilise, la manière dont il sélectionne et retire les joueurs du terrain de jeu, etc. Ses manières et ses actions, qui sont parfois délibérées et parfois non, ont également une influence sur la formation des habitudes des jeunes qui ont un œil attentif sur la distribution des récompenses et des punitions. Ainsi, par exemple, bien avant que les enfants ne puissent théoriser la justice, ils peuvent s'exclamer avec une indignation justifiée "ce n'est pas juste", parce qu'un coéquipier a été privilégié par rapport à eux sans raison valable.

Il est vrai que les jeunes modèlent leur comportement, leur langage, leurs choix, leurs postures, etc. sur l'entraîneur ou la star du sport, en les imitant dans le contexte du sport et au-delà. Ces processus d'émulation (en gros : suivre des modèles) et d'identification (qui nous voyons à la lumière de) ne sont pas totalement rationnels. Le début de l'éducation morale en général, ou de l'apprentissage moral dans le sport en particulier, est nécessairement hétérogène. Les enfants sont littéralement à la merci de ceux à qui l'on confie leur soin et leur développement dans et par le sport.

Il est important de noter que ce processus d'initiation se déroule dans le temps. Il peut y avoir des changements de Gestalt - où les apprenants font un saut sportif et moral dans leur progression - mais le tableau général est plus lent et moins dramatique. Le philosophe britannique de l'éducation, Ray Elliott, a un jour donné un beau témoignage du caractère phénoménologique de l'initiation et du développement personnel dans une pratique richement suggestive pour le sport : "un enfant à l'école trouve une matière attrayante, s'en réjouit et commence à attendre avec impatience les leçons dans lesquelles elle est enseignée. Le sujet semble attirer son attention, son travail plaît à son professeur, et il en vient à se considérer comme "bon" dans le domaine. Il devient "son sujet". Pendant ses leçons, le temps passe avec une étrange rapidité. Il la croit "meilleure" que les autres matières et est prêt à renoncer à d'autres plaisirs parce que l'absorption dans sa matière lui plaît encore plus. Peut-être se passionne-t-il pour ce sujet et regrette-t-il le temps passé à autre chose. Le moment venu, l'étudiant se rend compte que son intérêt enthousiaste pour sa matière ne suffit pas. Il y a des normes à respecter et, pour les respecter, il doit développer des compétences et des capacités qu'il n'avait pas prévues au départ pour sa matière. Il doit également effectuer un travail considérable qui semble être une corvée. Les plaisirs ne viennent pas facilement maintenant, mais il trouve sa satisfaction en essayant de satisfaire les exigences que son sujet lui impose. Il s'est consacré à ses disciplines et a parfois le sentiment d'avoir été mis à son service". 6

Cette histoire est tout à fait conforme aux idées aristotéliciennes sur le bien-vivre : on poursuit d'abord ad referendum ce qui est agréable, pour ne poursuivre l'honorable que plus tard, après avoir été, pour ainsi dire, enrôlé ou initié à une certaine conception de la pratique comme une activité valable, chargée de vertus. Un point clé du développement éthique des enfants lorsqu'ils deviennent des jeunes ( dans ce que nous pourrions appeler le stade intermédiaire entre l'hétéronomie et l'autonomie ), lorsqu'ils tentent d'explorer les limites de leur corps, de leur identité et de leurs valeurs, est l'exemple qu'ils choisissent d'imiter. Il est clair qu'à ce stade, leur caractère est en transition. Dans les bonnes circonstances, les enfants et les jeunes apprennent à adopter des attitudes moins égoïstes et en viennent à s'intéresser aussi aux intérêts et aux besoins des autres. L'acceptation consciente des règles du sport peut jouer un rôle important dans la lutte contre l'égoïsme excessif. Les jeux sont des contrats, et les joueurs doivent remplir leur rôle de compétiteurs. La jeunesse est aussi un moment crucial pour la formation de sensibilités émotionnelles qui sont fondées sur une base congitive. À ce stade de développement, les émotions morales telles que le regret, la honte, la culpabilité ainsi que la fierté et la loyauté sont considérées comme des réactions appropriées ou inappropriées à des situations et à des actes. Généralement, ces réactions se traduisent par des schémas de perception, d'émotion et de délibération plus ou moins stables. Mais elles doivent toujours être fondées sur de bonnes raisons, bien entendu. Agir de manière vertueuse, c'est en effet agir à partir d'un caractère établi qui voit et juge les choses correctement. Mais ce n'est pas tout. Néanmoins, comme l'a fait remarquer Aristote, être vertueux, c'est ressentir les bonnes émotions au bon moment, au bon degré et par rapport aux bons objets. Ainsi, la sensibilité émotionnelle fait partie du modèle plus complet de développement de la vertu, et elle ne peut venir qu'avec le temps et l'immersion dans des contextes sportifs où il existe une forte atmosphère morale ou un ethos ; où les considérations éthiques sont un ingrédient de base et pas seulement la cerise sur le gâteau.

Sur le plan formel, l'exhortation et l'instruction morales seront bien sûr essentielles dans le sport des jeunes. Néanmoins, nous ne devons pas sous-estimer la valeur des choses apprises pendant que - dans les vestiaires ou sur le parking - nous n'entraînons ou n'enseignons pas explicitement. Les sociologues de l'éducation appellent ce phénomène le "curriculum caché" et il est un puissant façonneur des valeurs et des attitudes des jeunes apprenants. Deux autres points sont particulièrement dignes d'intérêt. Le premier a trait à la notion puissante, bien que démodée, de modèle de rôle que j'ai évoquée plus haut. Dans la pensée aristotélicienne, la compréhension de la bonne chose à faire, à sentir et à voir est le produit de notre apprentissage auprès d'âmes plus sages ( phronimos ) dont la maîtrise du jugement pratique ( phronesis ) ou de la sagesse est plus fiable et plus sûre que la nôtre. Mais la qualité adverbiale de notre action est cruciale pour qu'elle soit considérée comme vertueuse et pas seulement comme un simulacre ou un faux placage de celle-ci : "les actions sont donc dites justes et tempérées lorsqu'elles sont telles que le ferait un homme juste ou tempéré ; mais ce n'est pas l'homme qui les fait qui est juste et tempéré, mais l'homme qui les fait aussi comme le font les hommes justes et tempérés. Il est donc bien dit que c'est en faisant des actes justes que l'homme juste est produit, et qu'en faisant des actes tempérés l'homme tempéré ; sans faire ces actes, personne n'aurait la perspective de devenir bon. Mais la plupart des gens ne les font pas, mais se réfugient dans l'hérésie et pensent qu'ils sont des philosophes et qu'ils deviendront bons de cette façon, se comportant un peu comme des patients qui écoutent attentivement leur médecin, mais ne font aucune des choses qu'on leur ordonne de faire. Comme ces derniers ne seront pas bien dans leur corps par un tel traitement, les premiers ne seront pas bien dans leur âme par une telle philosophie". 7

C'est pourquoi les philosophes ont souligné que le sport peut être une arène importante pour le développement de la vertu : en fournissant, de manière très publique, des occasions pour le bien et le mal. En créant des situations relativement contrôlées, et parfois artificielles, nous pouvons donner aux jeunes sportifs l'occasion non seulement d'"essayer" l'action morale, mais aussi de réfléchir et de la ressentir. Il est rare, du moins dans le domaine du sport, que l'on ne sache pas ce qu'il faut faire. L'objectif est de le faire avec la bonne motivation et les bons états émotionnels. Mais nous ne pouvons pas avaler l'hameçon, la ligne et le plomb d'Aristote comme on dit. Il convient d'inscrire ici quelques points de prudence. Premièrement, nous devons reconnaître la situation de la pensée aristotélicienne. Il est clair que les pratiques de la Grèce antique seraient misogynes par les lumières modernes. Pour que le sport devienne un lieu d'éducation morale, il n'est pas nécessaire d'avoir un projet naïf de renouveau. Aristote parle de "l'homme" bon et sage et souvent de "l'homme à grande âme" lorsqu'il évoque des actes de courage viril et de noblesse. Bien sûr, notre interprétation doit être révisionniste à cet égard. La société athénienne de son époque était marquée par des préjugés de classe et d'ethnie (et il connaissait bien un étranger : un Macédonien) et il n'est pas historiquement parlant de dire qu'elle était aussi profondément sexiste. Néanmoins, l'accent qu'il mettait sur la nécessité absolue d'une action habituée dans le développement moral des jeunes est aussi pertinent aujourd'hui qu'il l'était à l'époque. Souvent, et peut-être surtout, nous agissons en fonction de notre accoutumance précoce et seulement après, en fonction de notre appréciation réfléchie de ce que des gens bien feraient dans de telles situations. L'observation aveugle d'une règle n'est pas, dans un sens clair, la même chose que l'observation sans réserve d'une règle, où les actions d'une personne sont basées sur une conception et un dévouement à faire la bonne chose en étant le bon type de personne. Néanmoins, le comportement des jeunes dans le sport se caractérise par l'incertitude et le manque de fiabilité. Les enfants et les jeunes en viennent progressivement à résister à leurs motivations et à leurs valeurs égoïstes sous la direction et le soutien appropriés. Le développement d'attitudes mûres et réfléchies par rapport à leur système de valeurs en évolution est une tâche qui doit souvent se faire en fonction du succès ou de l'échec dans des espaces situés sur le terrain de jeu et au-delà. Certains qualifient ces cas, de manière assez belle je pense, de "moments d'apprentissage" à saisir comme de précieuses opportunités.

La formation du caractère dans cette phase intermédiaire du développement éthique, caractéristique du sport des jeunes, aide notre agent moral en évolution à (re)produire de manière fiable les bons actes au bon moment tout en se sentant bien avec eux. Il est toutefois erroné de considérer cette accoutumance comme un simple apprentissage par cœur, à l'instar des premiers psychologues de la compétence qui pensaient que nous apprenions une habileté motrice donnée par la répétition constante. Au contraire, comme un schéma, on apprend les réponses généralisées aux situations et on doit ensuite les affiner en devenant de plus en plus sensible ou en s'adaptant aux particularités de chaque situation.

Cette étape de la vie et du développement moral de la jeunesse est souvent résumée par l'expression "apprendre le "ça" de l'action morale". On comprend que l'on doit agir selon les préceptes de la vertu. Afin de mûrir pleinement, pour atteindre le stade final du développement moral aristotélicien, les agents moraux doivent également comprendre "le pourquoi". Comme le dit Tobin : "Acquérir le pourquoi en éthique aidera (ceux qui en sont au stade intermédiaire) à surmonter les lacunes, les imprécisions et les erreurs directes de sa conscience morale...". 8 Mais il s'agit bien entendu d'un projet qui dure toute une vie, et pas seulement pour le sport des jeunes.

Bien que le discours sur la vertu dans le sport puisse sembler quelque peu anachronique, je maintiens qu'il ne l'est pas. J'ai développé ailleurs un récit soutenu des vertus et des vices dans le sport. Pour ce faire, je me suis inspiré de divers auteurs, dont Nussbaum et Pincoffs. 9 Je vais maintenant développer - sans respecter les différences importantes entre leurs positions - un cadre pour une éthique des vertus du sport ici.

Un catalogue des vertus dans le sport

Bien que je ne puisse pas proposer ici un schéma ou un catalogue complet des vertus, je pense que ce serait un progrès par rapport aux exhortations fades à une conduite vertueuse que de commencer au moins à délimiter les différents sports de vertus qui pourraient instancier l'éthique sportive dans la conduite athlétique.

Tout d'abord, le catalogue de toutes les vertus est fonctionnellement varié 10 mais ici je me contente de distinguer les vertus non instrumentales des vertus instrumentales ; ces dernières concernent spécifiquement les sports d'élite où la sphère est essentiellement instrumentale, l'action orientée vers un but.

En parlant des vertus non instrumentales ou morales, nous pourrions vouloir insister sur une série de vertus qui garantissent un comportement interpersonnel plus que raisonnable, basé sur une valeur humaine fondamentale, à savoir ne pas nuire aux autres. Il peut sembler raisonnable d'affirmer que ces vertus morales ont le plus de chances d'avoir une portée transculturelle. Une telle liste comprendrait l'équité, l'honnêteté, l'intégrité et la véracité. Qui contesterait ces qualités dans la liste des vertus attendues d'un grand sportif (ou de toute autre personne d'ailleurs) alors que nous ne les attendons pas et que nous ne les trouvons pas dans d'autres domaines du sport d'élite ?

En élaborant les vertus d'un olympien ou d'un grand sportif professionnel, par exemple, nous pourrions souhaiter incorporer un minimalisme moral bien plus élevé. L'idéal persistant des sportifs en tant que héros honorables serait souillé s'ils adoptaient une attitude aussi dure ou cavalière à l'égard des règles constitutives et réglementaires des sports, des meilleures traditions de ces sports et des normes d'honnêteté et d'intégrité que nous attendons des professionnels (bien payés).

Sans chercher à vilipender de manière injustifiée l'un des nombreux méchants sportifs dont les vices ont corrodé les idéaux du sport, on pense volontiers aux sprinters américains disgraciés Marion Jones et Justin Gatlin. L'une des difficultés pour les athlètes olympiques est d'être tenus publiquement responsables de normes de conduite et de caractère plus élevées. Une difficulté philosophique correspondante serait le contenu philosophique précis donné aux vertus morales qui sous-tendraient l'idée de modèles positifs, peut-être héroïques ?

L'un des principaux pouvoirs moraux éducatifs du sport est, selon moi, le rôle de modèle des sportifs d'élite, tels que les athlètes olympiques, qui adoptent le genre de comportement où, à l'encontre de la concurrence directe, ils agissent de manière désintéressée (par exemple, en aidant leurs collègues athlètes blessés ou en évitant délibérément les occasions faciles de gagner au détriment d'adversaires incapables) ou d'une super honnêteté lorsqu'ils indiquent à l'officiel qu'ils ont enfreint une règle alors que celui-ci ne l'avait pas réalisée. Je reconnais que cela place la barre assez haut et demande aux athlètes plus que ce que l'on pourrait attendre des autres. Mais c'est précisément en raison de leur grande notoriété, de leur énorme soutien financier ou de leur prestige social que les attentes de normes plus élevées sont justifiées. Et cette attente n'est pas nouvelle. Même à l'origine, dans les luttes ou les concours sportifs de la Grèce antique (agon), nous connaissons le mythe des champions qui ne gagnent que des couronnes de laurier. Au contraire, nous savons qu'ils étaient payés grassement et qu'on attendait d'eux qu'ils se comportent honorablement. Il est clair que beaucoup de gens, et peut-être la plupart, chercheraient à obtenir des avantages concurrentiels déloyaux dans de telles circonstances. Le fait qu'avec tant de choses à gagner et à perdre, la grande majorité des athlètes ignorent les occasions de tricher est l'une des raisons pour lesquelles nous les considérons à juste titre comme étant au-dessus des gens ordinaires.

On dit souvent que le sport est axé sur la compétition, ce qui favorise l'égoïsme. Logiquement parlant, cela ne peut pas être le cas. Même l'étymologie du mot nous dit que la compétition est un rassemblement pour se tester les uns les autres. 11 Et on ne peut partager un test que lorsqu'on a accepté de coopérer. Qu'est-ce que faire du sport sinon un appel à suspendre toutes les différences de croyance ou de couleur afin de lutter ensemble pour la victoire. La démonstration de la supériorité exige une coopération. Les compétitions sportives ne peuvent survivre sans cet esprit partagé que nous appelons souvent le fair-play. Ce point découle de la structure même du sport et impose des exigences sur le caractère même des sportifs. Notez, je ne dis pas que la présence de vices contraires n'est pas partout visible dans le sport, mais que pour qu'il atteigne les idéaux capturés dans le sport à son meilleur, les vertus doivent donc être cultivées. En effet, le point peut être distillé à partir d'un niveau plus général. Nussbaum le dit ainsi : "Le fait est que chacun fait des choix et agit d'une manière ou d'une autre dans ces domaines : si ce n'est pas correctement, alors de manière inappropriée. Chacun a une attitude et un comportement à l'égard de sa propre mort, de ses propres appétits corporels et de leur gestion, de ses biens et de leur utilisation, de la distribution des biens sociaux, de la culture ou non d'un sens du jeu et du plaisir, et ainsi de suite. Peu importe où l'on vit, on ne peut pas échapper à ces questions, tant que l'on vit une vie humaine. 12

La revendication de Nussbaum est ici la noble et vaste revendication d'unifier toute la bonne vie humaine sous le même auvent de vitres. Je revendique une revendication de portée beaucoup plus modeste. J'affirme simplement que le sport, de par sa nature et ses objectifs, impose des exigences à tous les joueurs. Leurs réponses sont de nature obligatoire par le biais de structures de règles et de conventions. Les observer, et pas seulement par crainte de pénalités ou de sanctions, nous met encore au défi en raison de notre faiblesse de volonté et de la disponibilité immédiate de biens extérieurs (plus ou moins importants) qui permettent d'inventer les fins de la victoire sur les moyens de jouer loyalement et bien. Le sérieux de la compétition au sein des individus et des équipes et entre eux augmente les enjeux. Les vertus, dans leur variété, sont une réponse à cette problématique.

Comme on l'a noté, il n'est guère difficile de définir les types de vertus que l'on peut s'attendre à cultiver dans les sports et les équipes sportives. Je note ces deux catégories afin de refléter les vertus qui appartiennent à des groupes aussi bien qu'à des individus. S'il est assez évident qu'il faut des vertus telles que la discipline, la détermination, la persévérance et la ténacité, en tant que sportifs dont les efforts sont axés sur un objectif précis, il faut aussi du "courage" et de la "prudence" pour savoir quand les niveaux de risque valent vraiment la peine d'être pris. Ignorer sa santé future en prenant des risques pendant son adolescence (par exemple en se dopant) représente un défi qui exige une grande prudence et une imagination morale. Il pourrait également être important de reconnaître à nouveau la compétitivité potentielle de différentes vertus en plus de l'hétérogénéité, même au sein de vertus telles que le courage (actif comme dans l'andreia grecque - dont le contexte est militaire, et la fortitudo latine qui pourrait être comprise comme le fait de résister à la douleur ou à la souffrance et de tenir bon ou de continuer).

Il y a peut-être de nombreux indices que nous pouvons tirer de cet examen de la variété fonctionnelle de la classification des vertus pertinentes pour l'attribution "sportive". Je n'en retiendrai que deux. Premièrement, il serait déraisonnable de choisir un catalogue parmi les vertus non instrumentales et d'attendre de tous les sportifs qu'ils les instancient. Tout comme les vertus sont fonctionnellement variées, nous devons également reconnaître l'énorme variété des sports et les défis radicalement différents qu'ils posent aux concurrents. Le tir à l'arc, le basket-ball, le hockey, le judo, la voile, la natation, l'athlétisme, ... partagent tous une logique de compétition et un certain état d'esprit de vainqueur. Mais cet état d'esprit n'est certainement pas une vertu mais un condensé de ces sports à la texture ouverte. Nous pouvons nous attendre à une approche commune beaucoup plus importante en ce qui concerne les vertus instrumentales, mais même dans ce cas, il y aura une certaine spécificité de contexte qui peut conduire à des interprétations alternatives de ces vertus.

Deuxièmement, un point pédagogique suit ce point philosophique. Relativement peu de ces vertus, voire aucune, n'ont jamais été spécifiquement ciblées dans les documents politiques et les programmes d'études des entraîneurs, des professeurs d'éducation physique et des pédagogues du sport, d'après mon expérience limitée. Pourtant, au Royaume-Uni du moins, où l'héritage victorien des sports moralisateurs et ce que l'on appelle le "christianisme musculaire" a tant inspiré le fondateur des Jeux olympiques modernes, le baron Pierre de Coubertin, on a toujours pensé que, d'une manière ou d'une autre, par magie, la pratique même du sport inculquerait à ses praticiens des qualités morales que nous considérons comme des vertus. Rien, me semble-t-il, ne justifie une telle confiance dans le sport amateur, sans parler des rencontres professionnelles ou olympiques.

On pourrait dire que le philosophe ou le pédagogue, en tentant d'établir une éthique sportive singulière basée sur la culture des vertus, souffre d'une nostalgie excessive. Il y a peut-être une part de vérité dans cette affirmation. Les identités, les normes et les objectifs communs de la polis (ou ville-État) ont disparu depuis longtemps et sont inapplicables au monde multiculturel moderne. Pourtant, sans une certaine forme de conservation des traditions, il peut être difficile de prévoir le type de sport dont nous essayons de préserver les meilleures traditions dans notre entraînement et notre enseignement. Et si le sport, avec ses règles explicites et son éthique implicite de fair-play, ne peut pas modeler le comportement humain dans toute sa gloire (les verrues et tout le reste), il est difficile de voir ce que les pratiques modernes peuvent faire.

Remarques finales

Dans la courte présentation d'aujourd'hui, j'ai essayé de vous faire partager une éthique du sport condensée et simplifiée, basée sur la pensée aristotélicienne. Je n'ai pas tenté d'en développer les points les plus subtils, sa psychologie morale, la doctrine de la moyenne, la relation avec sa biologie métaphysique, ni beaucoup d'autres idées intéressantes dans sa philosophie. J'ai plutôt essayé de montrer un peu quelles perspectives d'éducation morale il pourrait y avoir dans le sport conçu comme une arène d'excellence humaine, où les considérations éthiques de la vertu sont au centre d'une conception à la fois de la performance sportive et de la pédagogie.

* Professeur d'éthique à l'université de Swansea (Pays de Galles), où il enseigne l'éthique médicale et sportive ; ancien président de l'Association internationale pour la philosophie du sport et membre fondateur de l'Association britannique de philosophie du sport.

1 Pour un compte rendu plus complet, voir mon livre, Sport, vertus et vices : Jeux de moralité, Londres 2008.

2 Cf. J. PARRY, "L'éducation physique, la justification et le programme national" dans la revue de l'éducation physique n.11 (2), 1988, 106-118 ; cf. également G. MCFEE, Sport, Règles and Valeurs, Londres 2004.

3 C.S. LEWIS, Le christianisme simple, New York 1977, 77.

4 Aristote, Éthique de Nicomaque, bk. II, I ; 1103b, 22-5.

5 R. PETERS, Ethiques et Education, Londres 1966, 314.

6 R. ELLIOTS, "L'éducation, l'amour de son sujet et l'amour de la vérité" dans les Actes de la Société britannique de philosophie de l'éducation, (1974) Vol. 8 (1) : 135-47.

7 Aristote, Éthique de Nicomaque, bk. II, V ; 1105-21.

8 B. Tobin, "Une théorie aristotélicienne du développement moral" dans Journal de la Philosophie de l'Education (1989) Vol. 23 (2), 195-211.

9 Cf. M.C. NUSSBAUM et A.K. SEN (eds.), Qualité de vie, Oxford 1993 ; et E.L. PINCOFFS, Difficultés et vertus, Lawrence (Kansas) 1986.

10 Cf. E.L. PINCOFFS, op. cit., 84.

11 R.S. KRETCHMAR, "Du test au concours : une analyse de deux types de contrepoint dans le sport" dans Journal de la Philosophie du Sport" II, 1975.

12 M.C. NUSSBAUM et A.K. SEN (eds.), Qualité de vie, cité, 247.