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2° CHAMPIONNAT DE FRANCE DE CYCLISME DU CLERGE 2001
ARticles de presse
Article de LIBERATION : 7 Mai 2001
PERES QUI ROULENT !
Au championnat cycliste des membres du clergé, 27 hommes d'Eglise
rivalisent sur la route.
Par LE TOUZET Jean-Louis
Montoire-sur-le-Loir envoyé spécial
Depuis
deux ans, à Montoire-sur- le-Loir, dans le Loir-et-Cher, se déroule le
championnat cycliste des membres du clergé. Le 1er mai, la campagne est
remplie d'ecclésiastiques en habits de cycliste. Tout est
rigoureusement vrai dans cette histoire de col romain, de soutane qui
se prend dans le dérailleur et de droit canon. Pour ceux qui n'aiment
ni le vélo ni les choses de la religion, il peut s'agir d'un spectacle
navrant.
Mais
pour qui sait faire la différence entre un vicaire et un curé doyen,
voir ainsi des abbés en selle fait monter chez l'homme des larmes de
joie. Cependant, le championnat est une affaire sérieuse:
contre-la-montre de 14 kilomètres le matin «avec un putain de vent»,
grinçait un concurrent, et course en ligne de 55 kilomètres
l'après-midi dans les rues de Montoire: «Curé et cycliste, foutu
métier!», soufflait un autre les poumons en feu au quatrième tour.
Cette année, le peloton de clergymen se montait à 27. «Nous n'étions
que douze l'année dernière», raconte en se frottant les mains le père
Pierre-Marie de Bramond, l'un des trois pères de la paroisse de
Montoire. Pierre-Marie a 37 ans, un petit quelque chose de Jacques
Anquetil en selle. C'est un homme fort sympathique aux jambes de
routier-sprinter. On doit cette initiative remarquable à monsieur
Jégou, président de l'Union cycliste montoirienne. Monsieur Jégou est
coiffeur de son état. Il restera à jamais comme l'homme qui a organisé
la course des coiffeurs à Villechauve (41), «le tout était parrainé par
une marchande de perruques», ajoute sérieusement monsieur Jégou. Comme
le toupet se porte mal, «la course des coiffeurs» est aujourd'hui en
sommeil. Tout naturellement, «la course des membres du clergé» était de
son ressort.
«Un
peu comme saint Paul». Jamais dans l'histoire de l'Eglise, on ne vit un
spectacle si joyeux. Le contre-la-montre fut remporté par Michel
Fronty, diacre au Havre et «champion de France universitaire dans les
années 70». Michel Fronty, 51 ans, petit gabarit, sans graisse, comme
celui des grimpeurs. Le personnage est délicieux. Son parcours
également. Il a été franc-maçon, puis un jour la foi lui est tombée
dessus, alors qu'il était à vélo, «un peu comme saint Paul, qui est
tombé de son cheval sur le chemin de Damas» (acte des apôtres, chapitre
IX, versets de 1 à 20). Entre lui et le père Robert Leroy, de
Cléry-Saint-André, qui loge rue du Cloître, c'est un peu la rivalité
Coppi-Bartali. Ils se surveillent, ne lâchent rien. Si bien qu'ils font
exploser le peloton. On trouve des soutanes dans les buissons et des
séminaristes qui font l'accordéon.
Le
père Leroy, 49 ans, possède un solide coup de reins, et le diacre, une
classe naturelle. Si bien que la course ne pouvait leur échapper.
Michel Fronty (1er) et le père Leroy (2e) ont fait main basse sur le
championnat. Sans offenser Robert Leroy, ce qui le caractérise, c'est
un doigt de théologie et beaucoup de bicyclette: «J'ai l'office à 10
heures, puis les baptêmes jusqu'à 13 h 30 et les courses
départementales, qui commencent généralement à 14 h 30. Le matin, c'est
pâtes, et ensuite des barres énergétiques dans la voiture. Pour être
dans le coup faudrait que je sorte trois fois par semaine. Mais je me
fais quand même mes trente courses par an... Mais le problème, c'est
que je ne peux sécher le dimanche matin pour rouler. C'est une histoire
entre Lui et moi», ajoute malicieusement le père Robert.
«Bon,
on se le fait ce bénédicité?» Pour finir avec le savoureux père Leroy,
qui fut autrefois agriculteur: «J'avais des laitières, puis un jour
j'ai été appelé. J'ai laissé les vaches et j'ai gardé le vélo.» C'est
bien la preuve de l'existence de Dieu. Le père Christain Chérel, 37
ans, vient aussi du monde agricole: «J'étais commercial dans une boîte
d'aliments pour bétail, puis un jour Dieu m'a fait signe. Je suis
aumônier des écoles catholiques à Vannes. J'essaie de rouler 100
kilomètres par semaine, mais j'ai pas de bonnes jambes en ce moment.»
Le père Chérel (17e) devance quand même le père François Cordier (20e,
47 ans), profil de Lucien Van Impe, et qui est «à la fois médecin dans
un centre pour toxicos à Blois et curé en paroisse». Entre le premier
du contre-la-montre et le dernier il y avait près de quinze minutes.
C'est le père Charles Beauffreton, de Saint-Jean-de-Monts, qui fermait
la marche: «J'ai quand même 75 ans! Je fais 1 800 kilomètres par an, et
de mon temps c'était un déshonneur de faire du vélo. Les recteurs
voulaient tous une voiture, c'était à qui aurait la plus belle!»,
conclut cet homme charmant aux jambes bronzées et aux mollets
admirablement découpés.
A
11 h 30, le peloton passe à table dans la salle paroissiale. Le père de
Bramond en coupe-vent Big Mat-Auber: «Bon, on se le fait ce bénédicité?
(1)», dit-il en riant. Messian Huret, séminariste de 30 ans, cinquième
au général, a failli rater la prière: «Ah, mince, j'avais oublié!»
C'est le métier qui rentre. Au menu, carottes râpées et
poulet-nouilles. Un fond de «Bénédictine de Fécamp?», propose Michel
Fronty, qui se taille un joli succès avec sa liqueur. Dans le
presbytère, qui sent l'encaustique, deux jeunes séminaristes intrépides
arrangent les bidons: «Un peu de Riclès, ça ne peut pas faire de mal.»
Deux dames patronnesses: «Dites donc, père Antoine, vous avez fière
allure!» Le père Antoine a 28 ans, et on dirait qu'on lui a taillé un
short dans son pantalon de tous les jours: «J'ai zéro kilomètre dans
les jambes. Je ne suis pas fana de vélo. Moi, j'ai été pris au berceau,
hop! après le bac: le petit séminaire.» Père Antoine termine quand même
19e au général.
Les
pères sortent d'un livre de Sempé. C'est Raoul Taburin contre saint
Thomas d'Aquin. Dans le ventre mou du classement, on retrouve le père
Jean-Baptiste de Barmon: «plus jeune recteur du Morbihan», dit-il avec
une fierté de jeune coq. Jean-Bapiste fait la tournée de ses
paroissiens «à bicyclette, ce qui fait au bout du compte 20 kilomètres
par jour», et «sur un vélo de facteur», ajoute-t-il en haussant le col.
Dans la famille Barmon, «on trouve deux abbés», probablement des
amiraux avec le nez de traviole et de grosses lunettes, mais pas de
cycliste professionnel: «Je venais d'avoir 5 ans et je voulais être
prêtre. Ça ne m'a plus quitté depuis», rigole ce saisissant recteur de
33 ans qui a fini la course toute langue dehors (21e).
«110
kilos dans les faux plats». «Et si on crève, on fait comment?»,
interroge un jeune père. Et fuse alors cette magnifique réponse: «Pour
le dépannage, ça dépend de quelle communauté tu es, mon vieux.» Cette
course possède de bien grands mérites. Elle permet des rencontres entre
les contraires. Bernard Lebeau, 60 ans, prêtre ouvrier «dans les
quartiers chauds de Rouen et aumonier des prisons», qui circule à
bicyclette (14e au général) et le père Guilhem de Ferrières, 32 ans
(21e), de la communauté Saint-Martin (soutane et gros brodequins). A
priori, rien de commun entre les deux hommes d'Eglise: «Sauf le vélo,
ça nous permet de causer d'autres choses que de nos conneries
habituelles: il n'y a pas que l'âme dans la vie!, explique Bernard
Lebeau. On doit aussi s'occuper de notre corps, et le vélo, c'est un
sport parfait.»
On
doit toutefois déplorer un abandon. Celui de François-Xavier Hore, 34
ans, curé à Sapporo (Japon): «Ça faisait quinze ans que je n'avais pas
sorti mon vélo du grenier. Faut dire que moi-même, question condition
physique, je sors du grenier: je traîne 110 kilos dans les faux plats.»
On dira ce qu'on voudra, mais c'est quand même mieux que faire les
vêpres à cloche-pied.
(1) Prière que l'on dit avant les repas.
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